Nô (Exit)
CM, HD, 13′
Prod : Fabien Coulon et Pierre Reyssat pour Quatrième Gauche – Réal-Scén : Pierre Renverseau – Image : Manuel Tribot – Son : Arthur Girard – Musique : Joël Grizeau – Montage : Jérémy Leflamand – Régie : Michel Bénard – Scripte : Noémie Mortier
Avec Christophe Salengro – Jean-Pierre Pouvreau – Antoine Monier – Hàna Dubuisson – Noémie Vivier
« Quand Rémi entre dans ce théâtre, c’est pour y répéter les comptines de son tour de chant. Alors que ce dernier, accompagné de François – régisseur maladroit et insolent – et de Dragan – guitariste sourd-muet, commence sa répétition, une jeune femme entre sur scène et y vide le contenu d’une urne funéraire… »
Festivals : Festival du Court Métrage de Mougon, mars 2014, Prix du Public/ Toujours Trop Court, Niort, août 2014 / Voyages Z’Imprudents Clap Poitou-Charentes, oct 2014 / Talents Poitou-Charentes, Angoulême, nov 2014 / Festival International du Cinéma Francophone en Acadie (FICFA), Moncton (Canada), nov 2014 / Le Rayon Fantastique, Angoulême, nov 2014 / Festival Francilien, Marolles en Hurepoix, oct 2015, Francilien de Bronze / Action au Grand Action ! Paris, mai 2016
« Les théâtres, comme les cinémas, apparaissent aux yeux de ceux qui les fréquentent
souvent comme des sanctuaires dans lesquels tout peut arriver. Le pire et le meilleur, au
détour d’un mouvement, d’un regard ou d’une réplique. Lorsqu’ils accueillent un public
nombreux, ce sont ainsi des endroits rassurants, coupés du monde et soumis à la magie
inhérente au spectacle qui se déroule sur scène ou sur l’écran. Quand ils sont vides en
revanche, c’est une autre histoire… On peut imaginer ce qui a inspiré à Gaston Leroux son
«Fantôme de l’Opéra». De tels édifices sont les témoins privilégiés de l’art et donc, par
extension, de leur époque. Les entités qui y vivent prennent parfois des formes inattendues et
laissent des traces. C’est ainsi lors d’une tournée où il officiait en tant qu’acteur, qu’est venue
à Pierre Renverseau l’idée de «Nô (Exit). « J’ai passé beaucoup de temps dans des théâtres, à
répéter et à jouer. Il y a beaucoup de contraste en ces lieux, animés puis désertés, très
éclairés ou très sombres, pleins de bruits ou silencieux, grands espaces et petits recoins,
lustres et poussière… Je m’y suis imaginé coincé et traqué par quelque chose d’effrayant»,
explique un réalisateur doué d’un sens de l’observation et d’une capacité à brillamment
extrapoler à partir de situations dites « classiques » afin de créer une atmosphère propice à
l’effroi.
Bonne nouvelle, le court métrage de Pierre Renverseau parvient à susciter la peur.
Cela dit il fait rire aussi et pratique donc un mélange des genres surprenant autant qu’efficace,
dont l’une des principales qualités est également de sublimer des références pourtant pesantes
dans un premier temps.
Avec ses longs cheveux noirs, ses épaules tombantes et sa tenue, la créature qui hante
le théâtre dans lequel répètent les personnages du film rappelle bien évidemment Sadako, la
petite fille de la saga japonaise «Ring». Une influence totalement revendiquée et assumée par
le metteur en scène qui profite pour faire le rapprochement avec «Ring 0», dont l’action se
déroule également dans un théâtre. La boucle est-elle bouclée ? Pas le moins du monde, car
les choses ne s’arrêtent heureusement pas à un simple exercice de style en forme d’hommage.
« J’ai essayé de brouiller les pistes, de réinterpréter les films d’horreur asiatiques. J’associe
aussi ce personnage au théâtre Nô, où le fantôme féminin est une des figures récurrentes, en
la faisant danser sur une scène de théâtre », souligne Pierre Renverseau quand on l’interroge au
sujet des ressemblances de son fantôme avec celui des œuvres d’Hideo Nakata, poursuivant
sur ses autres influences, peut-être moins évidentes, mais tout aussi primordiales dans la
genèse de son projet. « En écrivant le scénario, je me suis souvenu aussi de «Bloody Bird».
Dans ce film, un tueur en série s’enferme dans un théâtre et élimine un à un les acteurs d’une
pièce. Dans le registre de l’épouvante, un autre huis clos m’a inspiré : «Le Prince des
Ténèbres» de John Carpenter. Autre influence, l’humour noir et macabre de certains films
britanniques, où le rire côtoie avec efficacité l’horreur tels «Dog Soldiers», de Neil Marshall,
«Shaun of the Dead», d’Edgar Wright, «Severance», de Christopher Smith ou encore
«Touristes» de Ben Weathley. »
Un mélange habile des genres et des tonalités qui caractérise «Nô (Exit)», jusqu’à lui
offrir son identité profonde. La présence de Christophe Salengro, notamment populaire pour
son rôle de président du Groland, accentue d’ailleurs cet aspect comique, tandis que ce dernier
sait aussi se faire le vecteur d’une peur croissante. Déjà au générique de précédents courts
métrages du cinéaste – «Blanche Neige et les 7 Mercenaires» et «Niort/Aubagne» – Salengro
surprend dans le bon sens du terme.
« Je voulais réunir épouvante et comédie, mais sans les mélanger« , précise le réalisateur.
« Tout d’abord commencer agréablement en installant la comédie (beau décor, galerie de
personnages amusants, dialogues se voulant percutants, comptine pour enfants), puis,
progressivement, laisser la place à l’épouvante (trace de pieds, noirs complets, pénombre des
coulisses, personnage effrayant, morts violentes…), faire que le tout dégénère
progressivement, mais irrémédiablement. Je me suis également dit, en l’écrivant, qu’il fallait
intégrer quelques éléments de malaise dans la première partie (le stress de Rémi quand il
fume, l’apparence de Dragan, ses riffs de guitare) et faire l’inverse dans la seconde (le
traitement humoristique de la mort de Dragan, François qui ne voit rien, les tentatives de
communication entre Rémi et Dragan). J’ai suivi la même logique avec la musique et les sons.
Durant le montage, j’ai constamment été préoccupé par cette problématique : ne pas tomber
dans l’excès, la parodie. »
En découle une partition savante, remarquablement éclairée et nourrie par un décalage
grandement responsable de l’originalité de l’ensemble. La tonalité est alors vraiment atypique.
Pierre Renverseau explique d’ailleurs la construction de cette ambiance si prégnante en
qualifiant son film de lieu unique où se mêlent plusieurs choses : les arts (théâtre, chant,
musique, danse, mime), les cultures (France, Europe de l’Est, Japon) et les genres
cinématographiques (comédie, suspense, épouvante), en poursuivant sur sa technique précise
et soignée : « J’ai joué avec le cadre et sa composition (apparition de la créature, personnage
en arrière plan, entrées et sorties des protagonistes sans que la caméra ne bouge, ce sont les
personnages qui entrent dans le champ ou qui en sortent). J’ai aussi voulu mettre les sens des
spectateurs en alerte, avec tous ces effets, amplifiés par les nombreux passages sombres. J’ai
volontairement choisi quatre comédiens de taille modeste par rapport aux deux mètres de
Christophe Salengro, ce déséquilibre, amplifié par des contre-plongées et des plongées,
apporte une étrangeté au film. »
On ne sait pas trop où l’on met les pieds quand se bousculent de tels éléments, à priori
opposés. En d’autres mains, «Nô (Exit)» aurait probablement pu ressembler à un melting-pot
d’influences mal digérées, mais en l’état, il touche au vif. Au-delà de l’horreur qui découle
des actes perpétrés par le fantôme inquiétant de cette fillette spectrale, le film impose un style
vraiment personnel qui lui permet de s’échapper des carcans des genres de films qu’il aborde
de front, et peut tout aussi bien s’entrevoir comme une métaphore sur la condition précaire
des intermittents du spectacle. »
Gilles Roland, L’Ecran Fantastique, avril 2015, pages 118 et 119